Je crois que mon visage était devenu noir. L’homme s’écria :
- Voilí la merveille ! Ce n’est pas pour rien que tu as attendu tout ce temps avant de te marier et que tu as battu un si long chemin pour venir jusqulici.
Mais comme je me taisais et que je la regardais d’un air ahuri, il me demanda :
- Tu as des objections ?
- Ouuu…nnnon, bredouillai-je.
- Alors ?
- Je suis comblé, elle dépasse mes attentes…
-Haaa, je suis content, dit-il en se frottant les mains. J’avais bien pressenti que tu deviendrais mon gendre dès que tu as passé le seuil de ma porte. Ne t’en déplaise, mais c’est ce qui arrive parfois. J’ai toujours rêvé que ma fille épouserait un homme comme il faut.
Lí , je fus tenté de faire un scandale, de dévoiler aux autres prétendants l’histoire des filles bufflonnes et le danger qu’ils couraient s’ils refusaient l’une de ces demoiselles ; je voulus déclencher une révolte. Mais je dominai mon bouillonnement. Quelque chose en moi me disait d’aller de l’avant, de ne pas attirer sur ma tête un malheur irréparable. J’allais peut-être pouvoir la pousser dans un précipice en route vers la maison, puis entrer dans un monastère sans plus jamais songer ni me marier, aussi longtemps que je vivrais, pensai-je.
Llaffreuse gloussait et me regardait avec des mines aguichantes :
- Va, mon amour, et cueille-moi de la camomille, car j’adore cette fleur…me dit-elle.
- Tout de suite, mignonne ! Je sifflai mon cheval mais on ne me laissa pas le monter ; on me donna un de leurs chevaux. Je me jetai en selle et je galopai ni bride abattue vers les collines, en pensant que c’était une bonne occasion de tirer mon épingle du jeu. Mais une fois arrivé dans le pré aux fleurs, ce satané cheval me flanqua par terre et me dit en s’ébrouant :
- Dépêche-toi de faire ta cueillette et rentrons, parce que j’ai envie d’une bonne brassée de foin sec !
Il n’y avait rien d’autre ni faire. Je cueillis un petit ballot de camomille, je remontai en selle et je retournai chez ma promise. Les violoneux chantaient la chanson bien connue des nouvelles épouses : « Tais-toi, mariée, va, ne pleure plus ! » et mon épouvantail s’évertuait ni larmoyer.